vendredi 30 août 2013

L’effemeru è l’infinitu

Assis parmi les fleurs impromptues et bénies
En feu d’artifice végétal et figé
Dans le jardin pentu le temps est abrogé
Et la vie éphémère en devient infinie


U sgiò dottore a dettu

Le médecin a dit qu’elle mourra bientôt
On la prend en photo pour garder son image
Elle atteindra pourtant un enviable grand âge
En attendant Marie grignote des gâteaux  


La ragione è la sperenza

Si la photo pouvait révéler mes pensées
On verrait se peindre des champs d’espoirs radieux
Un avenir meilleur sans douleur des adieux
Mais on ne percevra qu’une femme sensée


U sgiò Petru

Je chemine chaussé de souliers différents
Je suis le Ménalque le distrait du village
De ce talent inné je sais faire étalage
On m’adresse en riant des saluts déférents  


jeudi 29 août 2013

L’omu incappellatu

Mon teint mat indique l’homme œuvrant dans les champs
La clope au bec pendant sous mes brunes moustaches
J’ai l’air d’un ouvrier se tuant à la tâche
Sous la pluie le soleil je vais toujours bêchant


U saccu di donna

J’ai le corps alourdi par nombre de naissances
Et on me donne ainsi quelques années de plus
La mère a englouti sans fin tout mon tonus
En moi la jeune femme a perdu l’innocence


U vecchju cavalieru

Ainsi qu’un monolithe aux aïeux paysans
Planté sur ma chaise je montre mon aisance
Voyez ma prestance teintée de suffisance
Dans ma tenue équestre indiquant mon présent


Vicinu à l’eternu

Rabougrie et usée à moitié effacée
Je ne suis qu’un spectre même sur la photo
Mes parents reposent là-bas au cimitò
J’y serai de ma peine enfin débarrassée


U Monsieur in custume

Avec mes moustaches en guidon de vélo
Je parais évadé d’une époque lointaine
Où des Messieurs voyaient leur belle à la fontaine
Lui contant fleurette dans le doux chant de l’eau


U vestitu fiuritu

Sœur mère et épouse je suis la fondation
Solide et rustique de toute maisonnée
Je suis le roc ferme patronne insoupçonnée
Qui commande en douceur toute l’habitation


Posatu pè l’eternità

Vous me voyez assis avec sérénité
Mais je maudis sans fin notre sgiò photographe
Qui m’a coupé les pieds et je subis sa gaffe
M’empêchant de marcher pour toute éternité






Vint’anni troppu tardi

Je me prénomme Pierre et je suis le Muet
Il est bien un métier où j’aurais fait carrière
Au cinéma muet sans aucune barrière
Mais survint le Parlant et je suis désuet


Maria leghje ind’u giardinu

La nièce en son jardin feint de lire un bouquin
Sur une table ronde au bouquet bleu discret
Mais dès qu’on dit jardin on suppose un secret
Onirique ou coquin loin de nos flots turquins


Maria feghjà i fiori

Marie devant l’entrée tient un bouquet de fleurs
Posé sur ses genoux révélés par sa robe
Trop courte pour Chiatra et pour ses femmes probes
Marie vit à Paris loin des merles siffleurs


U sgiò Marchi

Sur son beau cheval bai aussi fier qu’Artaban
Le sgiò Marchi semblait quasi inébranlable
Sa demeure a brûlé un jour par accident
L’expo photo s’y tient ce qui est admirable
La maison retapée est donc d’un neuf flambant


Un mudellu di virtù

Sur la plaque en verre des deux frères Lumière
Notre riche voisin me tire le portrait
Comme il l’a déjà fait pour bien d’autres Chiatrais
Je suis un peu crispée C’est ma toute première


U ghjovanotu pocu sicuru

Sur une chaise assis avec les mains croisées
Face à ce cyclope je suis peu assuré
En dépit du travail que j’ai dû endurer
J’ai encor le teint frais et l’âme peu usée 


A donna mora è u so sumeru

Une femme à peau mat et son âne brun
S’en vont sur le chemin serpentant par les roches
Or l’âne est indolent et subit ses reproches
Il s’en soucie très peu connaissant ce refrain  


mercredi 28 août 2013

U mutu è la surgente

Si seulement ses propos pouvaient couler de source
Que le débit des mots fût la moitié de l’eau
Dans les vertes ramées se tairaient les oiseaux
Et tous les animaux interrompraient leur course


U mutu sottu à fica

Jamais il n’agaça les tympans des parents
Par de piètres propos et ceci dès l’enfance
Sans être philosophe il vivait en silence
On s’étonne de voir son portrait si parlant


Felicia

Je défie l’objectif sûre de ma beauté
Je sais qu’on m’apprécie pour quelques facéties
Mais nul ne remercie la brave Félicie
Qui n’a pas droit sur terre à la félicité


Vivien

Qui se souvient encor de Vivi et ses ânes
Un très brave garçon jailli d’un autre temps
Qui jamais n’a rejoint les rangs des médisants
Il préféra garder ses mœurs paysannes 


Una donna di caratteru

Une main sur la hanche avec mon tablier
Je suis l’intrépide femme de caractère
A l’air déterminé et les pieds bien sur terre
Pouvant défier le temps coulant au sablier


Orizonte luntanu

Sapé comme un cador Jean rêve d’un destin
Où il n’aura jamais à se briser l’échine
Aussi il veut partir au loin vers l’Indochine
Car l’avenir radieux y semble plus certain


A zitelletta

Dans ma robe blanche d’un beau jour de printemps
L’herbe folle du pré chatouille mes gambettes
Telle une citadine égarée dans l’herbette
Je rêve d’un futur paisible et exaltant


L’omu chì sà leghje

Assis dans l’herbe tendre avec mon bel habit
Et Le Petit Bastiais à peine en évidence
Posé près du genou dit avec insistance
Voyez cet homme instruit du meilleur acabit


Nustalgia di giuventù

Dans mes habits de deuil telle une condamnée
Collée contre le mur face à un peloton
Je songe au temps passé le temps ce faux-jeton
Qui fait de ma jeunesse une pensée fanée


U sgiò merru

En costume et cravate un sgiò maire est tout fier
Le monde gronde encor d’un désir de revanche
Et pourtant le Progrès sur les Chiatrais se penche
Il croit en l’avenir aujourd’hui comme hier


U vestitu

Je suis ainsi vêtue d’une sombre tenue
En ce beau jour d’été à Chiatra Landana
Étais-je Angelina ou l’élégante Anna
Des rives de l’oubli me voici revenue

U sgiò Dumè

Par hobby par lubie le sgiò Dumè défie
L’eau du fleuve d’oubli Sur le verre gravant
Le moment éphémère avec un art savant
Il lègue le trésor de ses photographies


mardi 27 août 2013

L'Album

J'ai ouvert doucement l'album
Oublié Il dormait dans l'ombre
D'une armoire en châtaignier sombre
Vieil album raconte-moi comme

Les anciens près de la fontaine
Échangent leurs récits passés
Tandis que chante l'eau glacée
Sur la place embrassant la plaine

Raconte et montre les visages
De tous ceux qui nous ont quittés
Souriant pour l'éternité
Dans l'immuable paysage

Riant sans même se douter
De la mort dans le lit du temps
Écoulant les ans et comptant

Toutes les vies à écourter

Un heureux concours de circonstances

C’est l’histoire d’une maison de sgiò qui a brûlé il y a bien longtemps, sur la partie haute de Chiatra Landana. Les planchers et le toit se sont effondrés et la pluie a entamé son lent travail de destruction. 
Depuis des décennies, les Chiatrais s’étaient habitués à voir cette demeure se lézarder, perdre des pierres et se fendiller. L’inexorable arrêté de péril semblait la guetter et la municipalité du village avait acquis cette maison dans le but de protéger les maisons voisines.

Mais, l’architecte appelé sur les lieux signala qu’on pouvait sauvegarder un niveau. Dès lors, le conseil municipal projeta de faire une salle d’exposition et un belvédère, et il y parvint avec l’aide du Département, de la Région de l’État et de l’Union Européenne. C’est ce bâtiment qui a été inauguré ce 25 août 2013, en présence d’élus locaux et de l’ensemble des Chiatrais.

C’est l’histoire d’une autre maison, à une centaine de mètres. On y trouva des plaques de verre dans le grenier et, de façon avisée, Roch Lastrajoli récupéra ce trésor patrimonial. 
Il s’agissait ni plus ni moins des plaques photographiques en verre des frères Lumière que Dominique Valeani, né sous le Second Empire et décédé en 1944, plus connu sous le nom de sgiò Dumè, avait accumulé, satisfaisant sa passion pour ce procédé qui permettait de tirer
Par bonheur, un des amis d’enfance de Roch, Jean-Noël Massoni, Chiatrais lui aussi, savait comment scanner les plaques exploitables et en faire des clichés sur papier. 
Il y a moins de vingt ans, Roch et Jean-Noël songeaient à faire une expo des photos, mais il manquait un lieu permettant de le faire.


C’est ainsi que par un double miracle, Chiatra a pu sauvegarder plus de 200 photos s’étalant de 1891 à 1944 qui montrent le village, ses habitants, les lieux, l’arrivée des nouvelles techniques, et que ce trésor peut être exposé dans une demeure qu’on croyait perdue.